L’ostéopathie en médecine vétérinaire ?

par Romain Orio

Définition...?

L’ostéopathie comporte sans doute autant de définitions qu’il y a d’ostéopathes... Alors pour rester simple, disons que l’ostéopathie est une approche médicale globale (holistique) qui s’intéresse à l’organisme vivant dans son ensemble et reposant sur les interactions existant entre les os, les muscles, les nerfs, les vaisseaux, le crâne et le sacrum, les viscères et les vertèbres, etc. On parle bien de médecine dans le sens où l’on établit, après un examen clinique spécifique à l’aide d’un toucher éduqué, un diagnostic (éventuellement un pronostic), et que l’on effectue ensuite un traitement à l’aide d’un ensemble de techniques manuelles reposant elles aussi sur ce toucher, cette écoute particulière des tissus. En pratique, les temps de diagnostic et de traitement sont souvent confondus.

L’ostéopathie recherche et traite ce qu’on appelle une dysfonction, qu’elle soit osseuse, musculaire, viscérale, crânienne... Les dysfonctions ostéopathiques sont représentées par la perte de mobilité d’un élément par rapport à un autre, et maintenu ainsi par des contractures musculaires superficielles et surtout profondes. Cet élément est dit en restriction de mobilité : il a perdu une partie de son bon fonctionnement physiologique, il est moins bien irrigué, émet trop de signaux nociceptifs (ou à l’inverse ne communique plus avec les tissus alentours), le tissu conjonctif adjacent présente une tension excessive... La dysfonction ostéopathique est uniquement fonctionnelle, par opposition à structurelle ou anatomique. Les techniques ostéopathiques ne soulageront efficacement une affection que dans ce cas. S’il y a atteinte de l’intégrité des tissus, elles ne peuvent être qu’une aide et d’autres moyens plus classiques doivent éventuellement être mis en œuvre.

A qui s’adresse l’ostéopathie ?

L’ostéopathie, potentiellement, permet la résolution d’un grand nombre de problèmes. Le piège principal réside parfois dans la difficulté de bien comprendre son champ d’application. Elle ne soigne pas tout, et ne remplacera jamais la médecine allopathique pour un grand nombre d’affections. En revanche, dans un certain nombre de situations, seule ou en complément de l’approche classique, elle apporte un réel avantage. Ni médecine parallèle (car deux lignes parallèles ne se rencontrent jamais), ni médecine douce (ce qui sous-entendrait de façon péjorative une moindre efficacité, ou par opposition qu’il y en aurait une « dure » : jugement de valeur et terme peu précis), il est sans doute préférable parler de médecine complémentaire, même si officiellement le terme est médecine non conventionnelle.

Quoi qu’il en soit, afin de l’utiliser à bon escient et de ne dénigrer personne, il convient d’une part d’avoir une bonne idée de ses indications potentielles, et d’autre part de connaître au préalable la sémiologie médicale classique, la pathologie et la thérapeutique vétérinaire. Ce qui nous permet de rester cohérent dans le respect de notre devoir d’information et de l’obligation de moyens. Et c’est bien sûr tout l’intérêt d’être d’abord et avant tout vétérinaire, pour exercer ensuite l’ostéopathie.

De façon très schématique, ses indications vraies (celles pour lesquelles l’ostéopathie suffit au traitement) s’arrêtent là où commence la lésion tissulaire (fracture, arthrose, déchirure, claquage, ulcère...). L’ostéopathie peut cependant, dans ces derniers cas, être utilisée en complément des traitements classiques avec bénéfice, même si elle ne saurait suffire seule à la guérison.

Pour essayer de préciser davantage ses indications, on peut citer :

 Les troubles musculo-squelettiques comme les boiteries, les douleurs vertébrales (lombalgies, dorsalgies, cervicalgies), ainsi que toutes les baisses de performances et les modifications de posture au repos ou en exercice (par ex : les défenses et difficultés du cheval au travail), qui sont parfois les seuls symptômes visibles d’un problème sous-jacent risquant d’évoluer de façon négative.
 Les troubles viscéraux fonctionnels chroniques : vomissements / diarrhées chroniques, digestion sensible, problèmes respiratoires, génito-urinaires...
 Les problèmes dermatologiques et les troubles ORL récurrents (après exclusion des causes classiques traumatiques, parasitaires et autres...)
 Un certain nombre de troubles du comportement, notamment ceux pouvant provenir de douleurs diffuses très difficiles à objectiver par la sémiologie classique.
 Certaines périodes particulières de la vie de l’animal comme la croissance (notamment dans les grandes races), la gestation et la période suivant la mise-bas peuvent aussi bénéficier très avantageusement d’un suivi ostéopathique (exemple des génisses laitières), afin d’éviter l’apparition d’éventuels troubles liés à celles-ci. On peut aussi bien sûr reparler ici de l’intérêt du suivi « préventif » du sportif (exemple du cheval). Enfin, l’accompagnement gériatrique et/ou de fin de vie, peuvent aussi éventuellement aider l’animal (et ses propriétaires, parfois) à mieux gérer cette période.
 Avant et surtout après une chirurgie « lourde », orthopédique ou viscérale, pour favoriser une meilleure récupération générale et fonctionnelle de l’organisme, ainsi qu’ une meilleure cicatrisation (travail sur les cals de fracture, les cicatrices...).
 Enfin on pourrait parler de ces cas particuliers où parfois, la médecine allopathique ne peut pas, ou ne peut plus rien proposer pour l’animal soit pour des raisons matérielles, soit par souhait des propriétaires (que nous devons toujours respecter, dans le cadre d’une information complète de la situation). Dans certains de ces cas, et dans la limite des réserves émises par ailleurs, alors parfois l’approche ostéopathique permet d’apporter un soulagement de l’animal, une orientation diagnostique...

Au chapitre des contre-indications strictes, le maître mot est : intégrité des structures. A partir du moment où celle-ci est atteinte (fractures, luxations complètes, hernies discales vraies...), ce n’est pas du ressort de l’ostéopathie.
On peut aussi parler de non-indications lorsque l’ostéopathie n’apportera rien de plus que les traitements classiques, lorsqu’ils existent : insuffisances organiques sévères (rénale, hépatique, anémie...), processus tumoraux, troubles infectieux, endocrinologiques ou neurologiques graves.

Comment fonctionne l’ostéopathie ?

Quelle que soit la technique utilisée, elle repose nécessairement sur un ressenti précis des tensions corporelles. Ce ressenti n’est pas un don tombé du ciel, même si certains sont plus sensibles que d’autres au départ, c’est une éducation du toucher qui s’apprend, se renforce avec l’expérience et s’enseigne. Plusieurs formations post-universitaires exclusivement réservées aux vétérinaires forment chaque année de plus en plus de praticiens à cette approche : l’Ecole Nationale Vétérinaire de Nantes - ONIRIS assure l’une d’entre elles, mais il existe aussi l’IMAOV et l’AVETAO. Ces formations ont toutes en commun une durée d’apprentissage longue (sur plusieurs années), seul gage de sérieux, et aboutissent désormais à l’attribution d’un diplôme reconnu officiellement.

Au niveau pratique, on distingue classiquement plusieurs types de techniques :

Les techniques structurelles ou mécanistes sont les plus connues. Elles s’intéressent essentiellement au système musculo-squelettique. Elles reposent sur l’utilisation de grands bras de leviers (les os, les membres...) et proposent par des mises en tension précises des zones de restriction suivies d’un « thrust », soit de dépasser la barrière motrice non-physiologique - c’est-à-dire la dysfonction - pour que la zone retrouve sa mobilité d’origine (technique indirecte), soit de ramener la zone à l’intérieur de ses paramètres de mobilité normale (technique directe). Le « thrust » est un mouvement de faible amplitude et haute vélocité qui permet en quelque sorte de réinitialiser la zone en dysfonction, par saturation des récepteurs nerveux nociceptifs de l’articulation, du muscle... C’est à cette occasion que l’on entend parfois le fameux « crac », qui n’est ni un gage de réussite ni une preuve de brutalité. Chacun, en faisant craquer les articulations de ses doigts, peut le vérifier. Cela correspond juste à l’expansion des gaz dissous dans le liquide synovial articulaire.
Un certain nombre d’écoles d’ostéopathie ouvertes à tous ne reconnaissent et n’enseignent que ces techniques, qui s’avèrent efficaces et surtout sans danger lorsqu’elles sont appliquées avec beaucoup de discernement : dans le cas contraire, elles peuvent présenter des risques sérieux de lésions plus ou moins graves et irréversibles pour l’animal (ex : hernie discale, syndrôme wobbler, fracture...) ou son entourage (ex : réaction douloureuse d’un cheval tenu en main...).

Les autres techniques sont dites fonctionnelles, il en existe plusieurs sortes :

 La méthode crânio-sacrée repose sur la perception et l’analyse du Mouvement (ou Mécanisme) Respiratoire Primaire (MRP). Il est décrit de façon classique comme le reflet de la sécrétion pulsatile du liquide céphalo-rachidien par les plexus choroïdes au niveau des ventricules cérébraux, à l’origine d’une onde se propageant dans tout le système nerveux central, par l’intermédiaire de la dure-mère jusqu’au sacrum. Une autre manière de le présenter consiste à parler d’une fluctuation plus globale du l’ensemble du tissu conjonctif, en parfaite continuité dans l’organisme, reflet des échanges et de la mobilité cellulaires. Dans les deux cas, une zone en dysfonction entraine de proche en proche une perturbation de ce MRP qu’avec de l’entrainement, la main peut percevoir. Toute partie du patient est donc susceptible de fournir une information utile sur le reste de l’organisme, ce qui rend cette approche très utile dans le cas d’animaux pas toujours parfaitement coopératifs. Pour l’observateur néophyte, cette méthode peut sembler déroutante quand le praticien en « écoute » semble apparemment ne rien faire. Mais souvent, l’animal ressentant ce qui se passe en témoigne par son attitude.

 Les techniques fasciales s’intéressent à l’étude des tensions perceptibles sur l’ensemble du tissu conjonctif présent dans chaque tissu, du niveau cellulaire aux fascias entourant chaque organe : vaisseau, nerf, muscle, tendon, viscère... De même, la relation de continuité parfaite de l’ensemble du tissu conjonctif dans tout l’organisme (et que l’on voit parfaitement à travers l’étude de l’anatomie), nous permet d’avoir une vision globale des dysfonctions et de pouvoir agir sur chaque zone de rétention.

 L’ostéopathie viscérale aborde les dysfonctions de l’ensemble des organes thoraciques, abdominaux, pelviens... Ses bases reposent sur l’étude de la neuro-anatomie et de la neuro-physiologie du système nerveux autonome et de ses interactions avec le système nerveux de relation. La biomécanique vertébrale et la physiologie viscérale sont liées par des réflexes (somato-viscéraux, viscéro-moteurs, etc) et un échange d’informations permanent, autorisant ainsi le diagnostic et le traitement de dysfonctions viscérales par une méthode manuelle non-invasive. De plus, sur le même principe que l’étude du MRP et des fascias, l’ostéopathe peut suivre la motilité intrinsèque de chaque organe pour en détecter les perturbations.

 Il existe aussi des techniques dites musculaires ou myotensives, qui s’appuient là encore sur la physiologie neuro-musculaire (réflexe myostatique, boucle gamma de régulation...), et des techniques tissulaires (développées par Pierre Tricot, Ostéopathe DO), que nous ne saurions résumer dans cette présentation succincte des différentes techniques.

Toutes ces techniques ont pour but de redonner de la mobilité à des tissus qui en manquent, de libérer de l’énergie en rétention, de favoriser une meilleure circulation sanguine, une meilleure conduction de l’information nerveuse, afin que l’organisme puisse de lui-même se rééquilibrer (notion d’homéostasie).

D’autres approches thérapeutiques peuvent aider à atteindre ce but, seules ou en complément d’une approche allopathique ou ostéopathique : l’homéopathie, la Médecine Traditionnelle Chinoise dont l’acupuncture est une des branches les plus connues, la phytothérapie, les Fleurs de Bach...

Après la consultation ?

Il est fréquent que le patient ressente une certaine fatigue après une consultation ostéopathique, voire que les symptômes s’accentuent légèrement dans les quelques jours qui suivent le traitement, le temps nécessaire à l’organisme pour se rééquilibrer. On peut aussi, parfois, noter l’apparition de symptômes n’ayant apparemment rien à voir avec la pathologie de départ (petite diarrhée, œdème des membres, dermatose, etc...). Il ne faut pas s’en inquiéter mais surveiller l’évolution car certains processus de guérison provoquent l’émergence de symptômes avant de s’estomper brusquement.

En règle générale, l’amélioration a lieu dans les jours qui suivent la consultation (parfois dès le lendemain), mais le résultat définitif s’observe le plus souvent deux semaines minimum après. Un résultat très net n’implique pas forcément une consultation de contrôle, bien que celle-ci permette de lever les dernières dysfonctions et de bien apprécier l’évolution. Un résultat net mais insuffisant peut nécessiter une ou plusieurs autres consultations. Un résultat négatif doit éventuellement amener à se reposer la question de l’existence d’une lésion au sens classique du terme, hypothèse que l’on peut avoir à tester par des examens complémentaires réalisés par le vétérinaire traitant.

Pour en savoir plus...

Le site de la revue européenne d’ostéopathie comparée où de très nombreux articles (cas cliniques toutes espèces, techniques de soin, anatomie, physiologie, philosophie...) et autres écrits sont proposés, mais aussi plateforme du réseau de vétérinaires ostéopathes :

http://www.osteo4pattes.net/

NB : La rédaction de cet article de présentation de l’ostéopathie s’est inspirée notamment d’un article du Dr Stéphan Cayre, vétérinaire ostéopathe, paru dans la revue Cynophilie française (numéro 155 du second trimestre 2001) ainsi que des écrits des Drs Patrick Chêne et Catherine Laurent, vétérinaires ostéopathes ; avec leur accord.